Anciennement, dans la théorie économique classique qui nait en même temps que l'humanisme, la notion de commerce au sens économique du terme tel qu'il entre dans le discours théorique sur la monaie, ne se sépare pas aisément de la notion de commerce des hommes entendus comme une capacité justement de cette nouvelle modernité de l'âge classique à constituer du lien social via l'échange des biens via la monaie. C'est le moment où le mode d'échange domestique traditionnel perd son hégémonie. Les sociétés paysannes fondée sur la terre et sur une division sexuelle du travail où les mobilités sont très restreintes, laissent place à un nouveau modèle de société dont le mouvement s'accélère et qui par le biais des échanges maritimes généralisés - la découverte du nouveau monde étant le premier pas vers la mondialisation- va développer le commerce tel que le comprend la société libérale naissante. Sur cette conjonction de l'idée d'un commerce économique fondé sur la circulation du capital et de la régénération de la théorie du lien social, je me réfère à une ancienne lecture de l'ouvrage de Pierre Rosanvallon "Le capitalisme utopique" - pour une note de lecture de cet ouvrage voir par exemple Le capitalisme utopique : histoire de l'idée de marché, de Pierre Rosanvallon. On pourra se référer bien sûr aussi aux textes fondateurs de Monstesquieu dans l'Esprit des Lois - la théorie de la monnaie développée essentiellement dans le livre XXII de L'Esprit des lois, comme théorie générale du signe social et qui montre bien que la civilité par laquelle des hommes se reconnaissent entre eux par des relations d'égalité et l'échange monétaire entre ces hommes participe d'un même mouvement qui est celui du commerce généralisé des hommes.

Bien sûr on ne peut ignorer que le commerce des hommes qui se développe aussi à partir de ce moment là c'est aussi de manière concrète celui des esclaves. Mais justement, la question est aussi celle alors de cette non-reconnaissance d'une humanité aux hommes qui peuplent l'Afrique.

Mais sautons dans le temps et retrouvons cette société qui est la nôtre dans laquelle, la mondialisation est devenu largement un trait dominant porté par une accélération des mouvements des hommes et des capitaux. Ce qui est aujourd'hui mis en avant pour comprendre cette société ce sont les termes de "mobilité", "flux", "réseaux", "connexion"...Le vocabulaire des NTIC.
En passant, le dossier de Sciences Humaines présente un encart sur la nécessité apparente pour les théoriciens de la société de développer leur théorie avec des métaphores (la société organique avec les images du corps social, le structuralisme, la société cybernétique et la question des échanges rétroactifs, la société de réseau...).
Que devient le commerce des hommes dans une telle société, où les échanges se multiplient mais deviennent en même temps plus fugaces et moins solides ? Quelle forme nouvelle prend le lien social ? c'est un peu le thème central du dossier de Sciences Humaines. Dans "l'Amour liquide" Zigmund Bauman met alors en évidence "la fragilité des liens entre les hommes" (sous titre du livre d'ailleurs) et il voit dans le phénomène des rencontres sur Internet l'une des expressions les plus emblématiques des relations liquides contemporaines.
Mais en titrant son livre d'expériences "amoureuses" sur Internet, "Des souris et un homme", Nick-Lewis Wingrove, fait un pas ironique vers une autre réalité : les femmes sont ramenées à n'être que des "souris". Bien sûr, le terme emprunte à l'argot, mais ne peut-on pas se dire que ce commerce amoureux frénétique sur Internet entre un homme et des souris, conduit à une déhumanisation bien éloignée justement de cette humanité qui traverse l'oeuvre de Steinbeck telle qu'elle s'exprime entre autre dans son livre "Des souris et des hommes". Ainsi de mon point de vue dans cette fragilisation extrême du lien à l'autre, ce n'est pas simplement un affaiblissement du lien social qui se produit (une société moins solidaire, moins solide).Si l'on peut reprendre les termes de la sociologie classique et le concept d'anomie de Durkheim, on peut s'interroger du rapport à établir entre anomie et existence sociale. Est-ce que le renforcement de l'anomie ne vient pas dissoudre la société et donc l''existence sociale ? ou bien, d'où proviendrait l'anomie : le dépassement d'une approche humaniste des corps et des esprits et la réduction de l'homme à des entités virtuelles n'est-elle pas plutôt à l'origine de cette négation de l'existence sociale et donc fondatrice d'une nouvelle repésentation de l'espace social ? L'anomie serait le produit alors de cette déshumanisation.
Je me prends ainsi à rejoindre la sociologie contemporaine interrogeant le mouvement d'extension et de nouvelle hégémonie des NTIC dans l'organisation de nos sociétés pour dire que le mouvement de "desinstitutionnalisation" (comme le montre le sociologue François Dubet "Le déclin des institutions") pour penser aussi que ce mouvement correspond à l'émergence d'une représentation et d'une idélogie sociale "transhumaine".
Tout ceci n'est qu'une entrée en matière, une invitation à réfléchir plus avant...Il faudrait reboucler ici avec mon billet Humanité et relativisme culturelsur l'oeuvre récente de Philippe Descola sur la cosmologie. Il y a lieu de s'interroger sur le lien entre "Naturalisme" qui fonde notre représentation humaniste de la société et l'émergence d'une pensée sociologique. Dès lors que des forces de dissolution de la société telle que nous la comprenons et la concevons dans cette représentation du monde, sont à l'oeuvre comment une sociologie peut-elle se maintenir comme discipline et nous aider à comprendre son évolution ? Je ne suis pas bien sûr de la justesse de la formulation de cette question...mais c'est un fil de ma pensée que je compte poursuivre...