Le thème central est alors l'émergence par mutation darwinienne d'une évolution majeure de notre espèce, donnant naissance via le mécanisme d'une "maladie" déclenchée par SHEVA (un rétrovirus endogène infectieux) d'une nouvelle variété d'être humain. Peu importe ici de connaître le degrès de vraissemblance scientifique d'une telle hypothèse (bien documentée scientifiquement cependant) l'essentiel est dans ce nouveau contexte produit par et pour l'espèce (inédit depuis la disparition de Néanderthal) : l'Homme voit apparaître une nouvelle espèce humaine (?) par mutation de lui-même. Greg Bear examine alors comment notre société réagit à cette mutation.

Le tableau est plutôt noir (je ne le dessine pas, je vous invite à la lecture du roman...) : l'humanité se sent menacée et n'arrive pas ni à comprendre, ni à accepter la différence. Les enfants de SHEVA sont rejetés, massacrés dans un premier temps, puis enfermer dans un second temps, lorsque la solution de l'extermination à la naissance devient impossible. Objet de discrimination sociale, les scientifiques les prennent pour objets d'étude. Certaines scènes du roman saisissantes dans la description des "Ecoles " (anciens pénitenciers reconvertis en camp de concentration pour les enfants de SHEVA aux Etats Unis) permettent bien de faire le lien entre les pratiques de l'eugénisme américain de l'entre 2 guerres et les pratiques des médecins nazis. Mais au-delà de ce cliché (bien vu cependant), un passage des "Enfants de Darwin" interpelle sur les mouvements de résistance aux OGM.

Refusant la vérité sur l'origine endogène des enfants de SHEVA, des groupuscules anti-OGM accusent les sociétés biotechnologiques et les scientifiques d'avoir manipulé le génome humain pour fabriquer des EGM (Enfants Génétiquement Modifiés)... Au travers de son roman, Greg Bear nous interroge ainsi sur notre capacité à accepter la différence jusqu'au point de partager la prééminence de notre espèce humaine singulière jusqu'ici avec une autre espèce humaine ; plus encore sur notre capacité à reconnaître à cette nouvelle espèce son caractère d'humanité ?

Que se passerait-il si d'une manière ou d'une autre notre espèce humaine arrivait à une telle différenciation que notre humanité biologique se fragmenterait ? Qu'est-ce qui définit le principe d'humanité (pour reprendre le concept central du livre de JC Guillebaud) ? réside-t-il dans la biologie ou est-ce un principe fondamentalement philosophique ? _ Faut-il dénoncer les tentatives de dégénérescence de l'espèce au nom d'une intégrité biologique de l'espèce humaine posée comme intangible ? Et si un jour des hommes étaient modifiés génétiquement ? ou si les progrès des neurosciences et de la cybernétique conduisait à la naissance du Cyborg - ce "sur-homme" augmenté par la science, au nom de quel principe d'humanité faudrait-il l'accepter ou le refuser ?

Pas facile ?...

Ce billet n'est pas une régression dans mon humeur de dénonciation du transhumanisme, mais une pièce à ajouter à une réflexion qui refuse de sacraliser l'homme en rapportant son essence à l'existence d'un Dieu quelconque.