Isabelle Sommier, chercheuse, alors que s'ouvre le procès des faucheurs d'OGM: «La désobéissance vise à provoquer le débat public»

Par Gilbert LAVAL

mercredi 21 septembre 2005 (Liberation - 06:00)

alors que s'ouvre devant la cour d'appel de Toulouse le procès de neuf élus et syndicalistes, dont le député Noël Mamère (Verts) et José Bové, «faucheurs volontaires d'OGM», Isabelle Sommier, maître de conférences en sciences politiques et directrice du Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CNRS), analyse le phénomène dit de désobéissance civile. Elle effectue ses recherches sur la violence en politique et sur les mouvements sociaux, dont les luttes animées par les altermondialistes.

Comment est né le mouvement dont se revendiquent les «faucheurs volontaires d'OGM» ?

La désobéissance civile est un mode d'action qui fait florès. Elle a été théorisée aux Etats-Unis au milieu du XIXe siècle par l'écrivain Henry David Thoreau qui protestait contre la guerre faite au Mexique et contre l'esclavage des Noirs en refusant de s'acquitter des impôts. Un refus reconduit par Joan Baez, notamment pour lutter contre la guerre au Vietnam. Le mouvement a plus tard gagné les écologistes britanniques et Earth First. En France, on peut rappeler l'objection de conscience puis les milliers de pétitionnaires qui, contre les lois Debré, se sont publiquement déclarés hors la loi en 1997 pour avoir hébergé des étrangers en situation irrégulière. Depuis, il y a eu les arrachages de cultures OGM et les mariages homosexuels. Les désobéissants transgressent toujours la loi au nom d'un principe supérieur d'ordre moral. Il oppose la légitimité ­ à leurs yeux ­ à la légalité. Et ils assument pleinement les conséquences de leur acte public : l'amende, la prison ou le risque pour un élu de perdre sa mandature.

La désobéissance civile gagne-t-elle la société politique ?

Sans doute. Il y a de moins en moins d'accord autour des lois tandis que les citoyens, du fait de l'élévation générale du niveau d'études notamment, sont convaincus de leur propre compétence politique. Ce qui les autorise à intervenir dans le débat public et à contester le législateur. Les actes de désobéissance visent à provoquer le débat public là où la loi, selon les désobéissants, prétend trancher sans discussion ou est en retard sur une évolution sociale ou culturelle. De ce point de vue, la désobéissance civile est à interpréter comme la demande d'une participation démocratique accrue. Mais d'autres peuvent y voir une dérive potentiellement antidémocratique en ce sens qu'elle est une remise en cause permanente, par une minorité, du législateur que le peuple a élu. Le débat est vif au sein de la gauche parlementaire et très vif au sein du parti des Verts.

Quelle est selon vous l'efficacité des élus dans ce mouvement ?

La transgression d'une loi par celui qui l'incarne et est censé la faire respecter, l'élu donc, a certainement un pouvoir d'interpellation et une capacité de faire scandale bien supérieurs à celles des désobéissants ordinaires. C'est le but recherché en premier lieu. Se pose ensuite la question de leur sanction, qui assure encore plus d'écho à l'affaire. Les désobéissants ont tout à gagner de la présence d'élus à leurs côtés. Le mouvement des premiers faucheurs volontaires contribue à faire des OGM une question de société.

Cette pratique nouvelle en France peut-elle à terme transformer les mécanismes de notre société ?

Elle participe d'un mouvement plus large pour une plus grande intervention des citoyens dans les processus politiques. Elle nécessite sans doute pour les pouvoirs publics de ménager plus d'espaces de dialogue si ce n'est de délibération. C'est déjà amorcé. Qu'est-ce que l'obéissance, quelles relations établir entre minorité et majorité ? La désobéissance pose aussi de vraies questions de philosophie politique.