Toute la première partie est intéressante. Jean-claude Guillebaud n'y fait pas oeuvre d'originalité, mais il a le mérite d'y tracer de manière tout à fait pertinente et convaincante l'ensemble des phénomènes qui se passent sous nos yeux et que tous ne voient pas forcément, qui conduisent de manière incrémentaliste et subrepticement à la remise en cause de la notion d'homme traditionnel tel que pensé dans l'humanisme occidental.

Moins intéressant est la partie qui cherche à traquer dans une dénonciation multi-azimut les camps et les alliances (conscientes et inconscientes) des forces de l'antihumanisme où se mêleraient les forces de la science (cogniticiens, cybernéticiens, biotechnologues) et les courrants philosophiques de l'écologisme profond, du new âge et du boudhisme occidental. Se mêlent là de manière indue comme s'il s'agissait d'un complot inextricable, ce qui relève d'un prosélytisme de l'homme nouveau post-moderne et des formes de réactions diverses aux excés de l'individualisme néolibéral porteur d'un appel scientiste à l'homme du futur libéré des attaches spirituelles. Bref, la démonstration de JC Guillebaud visant à mettre dans le même sac adeptes du new-age et transhumains ne me parait pas convaincante.

Le projet de Guillebaud de défendre absolument le principe d'humanité contre les assaut de la pensée néolibérale, trouve cependant une limite dans sa défense de l'idée même d'individu. Je ne suis pas sûr quant à moi que le principe d'humanité -tel que je l'entend- puisse être assimilé à la conscience de l'homme comme être individué doué d'une conscience de soi.

Voir sa citation page 159

Adieu l'individu. La mort de l'homme annoncée en 1966 par Michel Foucault dans "les mots et les choses", s'accomplirait pour de bon sous l'effet des technosciences, du réseau numérique, de la génétique, des sciences cognitives. L'heure sonnerait aujourd'hui d'une totale "deconstruction de la subjectivité" c'est à dire la fin du "moi" et le dépassement de cette modernité égocentrée qui fut inaugurée par Descartes.

Pour moi l'humanisme au sens de la défense de l'Homme n'est pas une fin en soi. Et la conception de l'Homme n'est pas réductible à la défense du principe individualiste qui reconnait dans l'historicité du libéralisme, la préiminence de l'individu sur la société. Il ne faut pas confondre prééminence de l'Homme et prééminence de l'individu. La mise en avant de l'Homme n'a de sens qu'au regard du projet d'humanité visant le développement de la civilisation c'est à dire une capacité intrinsèque des hommes à nouer des relations entre eux, inter-culturelles pour dépasser les différences contingentes liées à leur histoire. Ces forces civilisatrices qui sont le moteur du principe d'humanité (et quand je parle de processus de civilisation, je ne fais pas simplement à la seule civilisation occidentale, bien au contraire j'englobe toutes les orientations divergentes des constructions culturelles de l'homme) sont l'affirmation ou la visée organisatrice d'une vie en sociétés des humains dans un ensemble respectueux des diversités qui vise à exclure toute tentative d'asservissement de l'homme par l'homme.

Le constat d'inégalités en nature ou en culture entre les hommes ne doit pas conduire à une légitimation quelconque de la négation du droit à appartenir à une même espèce, telle qu'elle se révèle dans la pensée eugéniste ou nazie, mais qu'on retrouve aussi dans la prétention de certain à la production d'un surhomme qui viendrait dominer, supplanter l'homme traditionnel. Or l'on sait bien que cet homme traditionnel ne saurait disparaitre parce que l'ensemble des hommes ne pourra ou ne voudra accéder à cette "supériorité" ou "augmentation" de lui-même. Dès lors quel serait le "destin" de cet homme traditionnel au regard d'un "homme supérieur" ? Voilà bien une chose que ne disent pas les promoteurs de l'homme nouveau tout à l'idée de défendre essentiellement le droit de son avénement. Comment ne pas voir que toute prétention à la supériorité est fondamentalement une revendication de la domination. Dans une telle vision du monde, l'homme n'est pas simplement posé comme le maître légitime de la nature, mais aussi comme le maître de l'homme aussi. Or l'homme ne peut se rendre maître de l'homme que par la production d'une sous-espèce ou la négation du caractère d'homme à certains hommes.

Voilà l'innacceptable.

Pour une présentation critique de l'ouvrage voir ici ou encore ici