Si le problème des OGM est un objet de controverse par excellence (scientifique tout autant que citoyenne d'ailleurs), la question liée de l'arrachage ou du fauchage des champs d'OGM est hautement polémique. Pourquoi ? Un ensemble de raisons peuvent être avancées au nombre desquelles 2 me paraissent majeures, sans que je sâche bien les ordonner d'ailleurs :

  • les scientifiques crient à un crime de lèse majesté : c'est la Science qu'on assassine
  • la justice (via les plaintes des entreprises semencières ou biotechnologiques) en appelle à la protection de la propriété privée.

Cette conjonction d'ailleurs de la science et de la propriété privée n'est d'ailleurs sans doute pas étrangère à la dureté de l'affrontement des positions ; et c'est sans doute ce qui fait au final "probème" comme on dit.

Ainsi donc si au tournant de l'été, les actions de fauchage s'intensifient d'année en année et que la critique des tenors de la science se fait également rituelle sur le thème de la dénonciation des forces obscurantistes qui s'opposent à l'avancée de la recherche, c'est sans doute que des enjeux profonds attisent les oppositions au point que les observateurs parlent alors de "dialogue de sourds". A y regarder de près, l'affrontement n'est pas réductible à une opposition du "savant" et du "profane", mais à une différence de culture. Il est sans doute vrai que les uns et les autres ne voient pas le monde de la même manière. Nous sommes là confrontés à des représentations du monde antagonistes. Pour s'en persuader je vous invite à revenir aux fondements de l'action contre le riz du CIRAD tels qu'ils ont été exprimés le plus explicitement peut-être par l'un de ses participants les plus lucides philosophiquement parlant : René Riesel (Membre du bureau de la Confédération Paysanne à l'époque). "Aveux complets des véritables mobiles du crime commis au Cirad le 5 juin 1999". Parmi les premiers en France il établit la colusion de la recherche scientifique dans le domaine de la transgénèse végétale avec ce qui se passe dans le domaine de la génétique humaine, fustigeant courageusement au passage l'opération ô combien populaire pourtant du Téléthon, en dénonçant la vision eugéniste de son promoteur.

Daniel Cohen, le père du Téléthon, officiant du Généthon d’Evry :

« A bas la dictature de la sélection naturelle, vive la maîtrise humaine du vivant ! (...) l’homme futur, celui qui maîtrisera parfaitement les lois de la génétique, pourra être l’artisan de sa propre évolution biologique... »

Si je dois citer René Riesel c'est surtout pour ce passage où le roi de la science est mis à nu :

On me dira que je suis hors-sujet, que je mélange tout, et que parler de génétique humaine ne peut que desservir la défense, entamer le « capital de sympathie » dont bénéficieraient les accusés, puisque 80% des usagers répugneraient dit-on, à consommer l’alimentation génétiquement modifiée qui leur est déjà fournie, tandis que l’inqualifiable chantage aux enfants myopathes et à la mucovicidose fait affluer chaque année des millions de francs dans les caisses du Téléthon. Je dis que c’est la même puissance de calcul, la même utopie technolâtre, qui nous promet la réalisation, bientôt à portée de main, des vieux fantasmes de l’homme régénéré, eugéniquement pur, et la transformation magique de la planète en un « vaste jardin »

La vérité de ce propos se révèle bien dans la levée de bouclier qu'a pu soulever la destruction (août 2003) du champ de maïs rendu transgénique pour produire une enzyme, une lipase gastrique de chien, capable de soulager les désordres digestifs des malades atteints de mucoviscidose. A l'époque nous avions réagit dans les colonnes de Libération, avec Jacques Testart et Frédéric Prat (deux complices d'Inf'OGM) à ce tollé général en redonnant un peu de perspective à une telle action. Cet article a été archivé sur le site d'Inf'OGM où il peut encore être consulté : Du danger des OGM médicaux

L'exercice d'explication était périlleux, tant il est difficile de toucher aux OGM médicaux qui sont devenus l'un des fers de lance les plus efficaces des promoteurs des OGM (dès lors que l'argument "des OGM pour lutter contre la faim" semble avoir fait long feu - on pourra y revenir sur cet argument..). Pourtant, nous retrouvons bien là dans la ligne droite des OGM thérapeutiques le risque patent de la manipulation génétique de l'homme. Et c'est bien pour cela que nous concluions alors notre article (et cette conclusion est toujours d'actualité) :

Décidément, il est urgent de mettre les OGM en démocratie.

Pour en revenir aux opérations de fauchage, on peut comprendre que le mouvement se durcisse dans la mesure justement où le débat public sur les OGM n'existe pas véritablement. Les rapports s'accumulent et se répètent (n'apportant que peu d'éléments nouveaux depuis le premier rapport LeDéaut de 2001), servant de pretexte in fine à l'absence de grand débat démocratique dont on peut penser que l'issue semble crainte par les pouvoirs publics.
Bien sûr, on pourra dire que les manifestants, les faucheurs volontaires ne savent pas vraiment ce qu'ils font, que leur conscience est obscursie, qu'ils surfent sur la vague d'une opposition consumériste aux OGM par l'effet des peurs alimentaires. Réduire le mouvement d'opposition aux OGM à ces peurs là serait assurément réducteur et ne permettrait pas de comprendre la permanence et la récurrence d'un tel positionnement qui s'ancre dans une claire affirmation d'une désobéïssance civile. Les faucheurs volontaires sont clairement informés et avertis, du sens de leur engagement et des risques qu'ils encourent (voir le site dédié à cette information : Désobéissance civique... face aux OGM : la charte des Faucheurs Volontaires.
S'ils persistent et signent commen on dit c'est que consciemment ou confusément (et c'est alors encore plus fort), leur geste et leur engagement sont une expression citoyenne forte et incompressible en République d'une volonté de démocratie et de débat public sur les OGM et leur sens sociétal. Ne pas le voir, le nier et le réprimer contient le risque majeur d'un dévoiement de la Démocratie.

Ce qui nous ramène aux fondements de la résistance aux OGM dont on ne voit souvent que l'écume médiatique mais qui doit être interroger philosophiquent. Pour une ouverture sur ce débat complexe mais crucial pour le devenir de notre société, un livre à lire sur lequel je reviendrais mais que je signale là comme une référence :

Remarques sur l'agriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces Editions de l'encyclopédie des nuisances, Paris.